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Le Philosophe chez les autophages - Jacques Bouveresse

Les réflexions qui suivent sur la situation actuelle de la philosophie ont été suscitées par une question à laquelle il est de plus en plus difficile d’échapper, mais qui, a priori, n’est pas du genre auquel je m’intéresse naturellement et spontanément. Je n’ai, en effet, jamais éprouvé une sympathie ou une attirance très grandes pour les considérations méta-philosophiques que l’on nous inflige périodiquement sur la philosophie qui est en principe finie, mais doit néanmoins continuer plus que jamais ou, en tout cas, n’en finira jamais de finir. Comme je ne suis pas du tout convaincu par les arguments historicistes que l’on utilise généralement pour justifier ce genre d’affirmation, les choses que l’on entend à ce propos évoquent pour moi assez directement la fameuse énigme de la poule de Kircher, pour laquelle la solution correcte me semble être exactement celle qui a été proposée par Musil : « Lorsqu’on la maintenait pendant un certain temps avec les deux mains couchée sur le sol et que l’on avait préalablement tracé à la craie un cercle autour d’elle, alors il s’avérait que la poule ne pouvait pas se lever et franchir le cercle. On a formulé un très grand nombre d’hypothèses pour expliquer ce phénomène extrêmement remarquable. Mais, à un moment quelconque, on s’est avisé qu’il arrivait aussi, de temps à autre, que la poule se lève et s’en aille. » Que la philosophie ait réussi à se persuader largement qu’elle ne doit pas essayer de sortir du cercle de craie que certains ont tracé autour d’elle, est une chose ; qu’elle ne le puisse pas et qu’elle ne finira pas par le faire, en est une autre. i je me suis risqué aussi longuement sur un terrain qui ne m’attire pas énormément, c’est parce que j’ai eu le sentiment qu’il n’était peut-être pas tout à fait inutile d’essayer à l’occasion d’encourager ceux qui ne trouvent pas forcément très enthousiasmante et très prometteuse la confusion qui règne et que l’on entretient actuellement, qui éprouvent le besoin d’y introduire un peu de clarté, qui se disent qu’il faudra bien que, d’une manière ou d’une autre, nous en sortions un jour et qui ne croient pas que nous le ferons en laissant les choses se débrouiller elles-mêmes, si elles le peuvent. Je ne sais pas si la philosophie est ou non finie. Mais je doute fort qu’elle puisse continuer indéfiniment sous les formes sous lesquelles elle est pratiquée par ceux qui soutiennent avec la plus grande assurance qu’elle l’est. Les charmes de la rhétorique post-philosophique sont peut-être plus apparents, mais ils sont certainement moins durables que ceux de la recherche de la vérité.









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